Le deuxième banquet des terriens

Un site en floraison

La marche d’approche démarrée au cimetière passe au travers des jardins familiaux pour se terminer à la ferme. Mathieu et Théo ont préparé un herbier des plantes de la friche. Ils invitent les convives à herboriser carnet à la main. On parle usage de plantes, et biodiversité végétale de la friche. Nous avons de la chance. Bien que les renouées aient à peine repris leur croissance depuis la fauche du mois dernier, de nombreuses autres plantes se sont développées dans notre lieu d’expérimentation. Après un premier épisode de sécheresse au début du printemps, le site connait une période de reverdie.

C’est un beau spectacle que de voir évoluer les gens par grappe au milieu des poules et des poussins, des chats, des buddléias, des sorgos et des bouillons blancs. L’occasion pour eux de découvrir l’exposition du travail de recherche de Tom Quin, sur de la fabrication de briques à base de renouée. Étonnements, interrogations nourrirons les échanges du public avec l’étudiant architecte belge. Ils pourront également découvrir le poulailler conçu à l’issue de sa résidence à nos côtés.

Les outils que nous avons conçus pour notre pratique culturale à la ferme sont également exposés. Une nouvelle version de l’enceinte, entièrement biodégradable est ainsi en test. Posée au deuxième étage de la tour à rhizome, elle contiendra les composts que nous allons réaliser ce jour. La membrane en fibre de coco est renforcée par des tiges de renouée attachées de part et d’autre le long d’une corde. Une épissure réalisée au bout de chacune d’entre elle permet de fermer l’ensemble grâce à un S métallique.

Pas tout à fait un même

Nous invitons les participants à s’installer sur les gradins. Comme lors de la première représentation, nous avons installé ce dispositif. Peut-être se justifie-t-il moins que lors de la précédente édition. Le sol est plus sec et plus chaud qu’au début du mois d’avril. Un contact moins distant d’avec le sol pourrait être plus cohérent avec le propos.

J’engage une présentation de la ferme et des propositions des différents copaines artistes, scientifiques, citoyen.nes, habitant.es participants… dans ce cadre d’expérience. Je reproduit en cela la façon dont s’était passé la précédente édition. Je me dit rétrospectivement que s’est installé de cette façon une relation didactique un peu trop conventionnelle, il me semble entre un dépositaire d’un savoir et un public.

Vient alors le moment du conte performé que nous réalisons avec Delphine.
C’est la troisième fois que nous présentons cette performance à un public.
Comme chaque fois, ce sont les mêmes gestes, les mêmes paroles, mais bien sûr, comme chaque fois, c’est autre chose.

Nous sommes un peu fatigués et probablement moins engagés dans notre acte, c’est du moins le sentiment que j’en ai. Pour autant le liens que nous créons avec le public est plus familier. Le moment est moins solennel, mais probablement plus ancré dans un présent. Il y a des rires, la participation d’un jeune garçon au rituel de fabrication du thé donne au rituel de faux airs de fin de collo’.

Déconstruire des mots valises

Les convives étaient, à la précédente activation, spontanément venu s’installer avec nous. Nous les invitons cette fois ci à faire ce même mouvement. Nous servons le thé de Renouée dans le cercle de foulage. Pendant le service, un échange nourri de questions se posent. Il est question notamment de « dépollution par les plantes ». Terme que nous prenons le temps de déconstruire. La renouée n’est pas en soit « une plante dépolluante », si tant est que cela existe. Elle arrive à se développer dans des conditions qui tuent bien d’autres plantes. Sa capacité à transformer ces milieux hostiles à son avantage, pourrait être utilisée pour améliorer les fonctions biologiques des sols des sites et sols urbains, dans une démarche de génie écologique. C’est du moins l’hypothèse que nous formons avec le groupe de travail scientifique et technique.

L’explication du procédé également fait l’objet de plusieurs questions. Pour cause, il n’est pas si évident de comprendre l’idée de compostage en pied de plante comme moyen de transformation de la tige recouverte en rhizôme et son potentiel d’accumulation métallique. 

Une séquence didactique à « re-designer »

Une personne du public, artiste en résidence à l’Assaut de la menuiserie, un petit centre d’art contemporain que nous avons le plaisir de compter parmis les amis demande beaucoup de compléments d’information – notamment techniques. J’essaye de répondre le plus précisément possible tout en essayant de ne pas perdre les autres participants.

D’une manière générale, je me fais la réflexion que la posture didactique que le dispositif me force à adopter est sans doute à revoir. Comment cette interaction pourrait-elle fonctionner autrement ? Y-a-t-il un mode de discussion particulier qui permettent de décentrer la relation et d’incarner la plante, tout en permettant de répondre au besoin de comprendre du public. Comment ce moment d’échange peut-il (mieux) permettre collectivement, comme le propose l’anthropologue Arturo Escobar, de « sentir-penser avec la terre ».

Nous avons essayé de bricoler un entrainement pour essayer de pallier l’absence de Franck, mais en tout état de cause, il nous manque un troisième ou le bon « truc » pour faire monter la sauce, je trouve.
Pour autant, petits et grands s’activent en cette fin de journée. On dépend le fagots, on les dénoues, on les entasse, puis on enfile les sabots broyeurs, et c’est parti ! Dans une ambiance conviviale, amusée et déterminée, les participants tournent, écrasent, sautillent pour venir à bout de ce tas de renouées.

Une fois le tas terminé, on dépose les épluchures du repas qui sera partagé juste après le rituel. Amenées dans un plateau réalisé par Lucie Havel en rhizomes de renouées, les reliefs du repas à venir couronnent notre tas de broyas.

À présent, place au couscous que nous irons partager à la petite campagne.