Lors d’un atelier de terrain, l’équipe de chercheurs accompagné d’étudiants de l’université d’Ottawa et de l’école d’Art de Dijon tenteront de déplier les causes et les effets systémiques des a priori négatifs vis à vis des espèces invasives (en général) et des renouées du Japon (en particulier). Il s’agit pour nous de mettre en évidence des conduites irrationnelles, des surcoûts de destruction, des alliances contradictoires que suscitent la plante.
Ce « spectre » des renouées illustre le concept d’hantologie développé par Jacques Derrida. Pour lui notre perception de l’environnement est hantée par certaines représentations, images, mais aussi de technologies du passé ainsi que par nos spéculations futures. En l’occurrence, de quelle manière les discours et les formes (design) produites dans un grand secteur de l’aménagement du territoire peuvent-elles être ainsi affectées par une plante invasive ? Comment cette représentation de « mauvaise herbe » demeure ou évolue-t-elle dans les façons de penser et d’agir avec et/ou contre le vivant ? de quelle nature est à ce sujet l’esprit qui hante le génie civil ?
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A titre de mise en condition, nous proposons ici une première cartographie de ce spectre des renouées. Un rhizôme multiversel s’y déploie mettant à jour des relations entre des acteurs a priori pas toujours compatibles.
Principales «victimes» des invasions végétales, les gestionnaires d’infrastructures sont aussi leur plus importants diffuseurs, puisque c’est par le transport de matière qu’opèrent les engins de chantiers que s’effectue principalement la propagation de cette plante. Ce secteur industriel est par ailleurs le financeur le plus important de la recherche scientifique dans ce domaine.
Les renouées mettent en évidence une forme d’alliance objective et pour le moins contre intuitive entre Génie civil et écologie – l’écologie en tant que science, mais aussi en tant que cause à défendre puisque écologie des invasions, associations naturalistes et fabricants ou gestionnaires d’ouvrages coopèrent dans la mise au point de récits qui engagent des techniques d’éradication et de contention des plantes au détriment d’une analyse plus globale sur les effet de l’agir humain sur les écosystèmes.
En s’arcboutant sur une lecture de la valeur écologique depuis les espèces, les acteurs de la défense de l’environnement ratent un combat plus pressant pour les espaces. Ce n’est pas la prolifération des renouées qui menace en premier lieu la biodiversité, mais l’emprise toujours croissante des activités humaines sur les habitats. L’espèce dite « invasive » est a ce titre et en premier lieu le symptôme d’un déséquilibre d’un milieu avant d’en être une cause.